De Carmen assassinée à Carmen meurtrière

Carmen revue et corrigée à l’Opéra de Florence (Janvier 2018)

Dans leur version de l’œuvre de Bizet, le metteur en scène Leo Muscato et le directeur du théâtre de Florence, Dario Nardellaont décidé d’épargner Carmen, faisant d’elle la meurtrière de Don José. Selon eux, il s’agit d’un « message culturel, social et éthique, qui dénonce la violence faite aux femmes, accrue en Italie. Un choix scénaristique qui heureusement n’a pas convaincu le public du Teatro del Maggio, ni la presse transalpine.

Une scène du Carmen de Leo Muscato

Vers un révisionnisme culturel ?

Il semblerait que, après tous les excès liés à l’affaire Weinstein, #metoo ou #balancetonporc (tout en considérant qu’il est absolument inacceptable d’abuser sexuellement de qui que ce soit et d’user de violence envers les femmes), certains groupes féministes soutenues par quelques intellectuels.elles « bien pensants » (ou simplement débiles) s’orientent vers une forme d’hystérie vengeresse. Il est vrai qu’Olivier PY en 2012, pour l’Opéra de Lyon, n’avait pas voulu non plus qu’elle meurt, mais ne l’avait tout de même pas transformée en tueuse.

Cette bêtise idéologique, amplifiée par les « social médias », non seulement est en train de saper l’univers intellectuel et culturel occidental, mais représente un véritable danger pour la liberté d’expression artistique (passée et présente), ouvrant la porte au révisionnisme historique, tout autant dangereux pour la démocratie.
Devra-t-on supprimer Henri VIII d’Angleterre des livres d’histoire et toutes les œuvres qui lui sont dédiées (y compris l’excellente série télévisée «les Tudors»)?
Faudrait-il, au nom de la lutte contre la violence faite au femmes, censurer les dessinateurs satiriques comme Reiser, ou les grands auteurs de bandes dessinées comme Jean-Claude Claeys, Liberatore, Serpieri, Crepax, ou Giovanna Casotto, etc. ?


Certes, le metteur en scène ou le directeur d’orchestre doivent absolument disposer de l’indispensable liberté artistique pour adapter une œuvre au goût du jour comme, par exemple, le choix de Leo Muscardo de situer la pièce de Carmen dans un camp ROM (Cf. Emmanuel Levinas). Mais cette liberté doit-elle conduire à manipuler le contenu d’une œuvre et dans le cas du Carmen de Muscato, non seulement à transformer une victime en bourreau, mais, in fine, à justifier la peine de mort ?

Ce révisionnisme des œuvres d’art, littéraires ou autres, au nom de n’importe quel type de bien commun, de respect prétendument dû au sacré, de la protection des mineurs ou de la lutte contre le féminicide est purement et simplement de la censure. Dans un remarquable ouvrage « L’art face à la Censure » (Baux Arts éditions), Thomas Schlesser dresse un état des lieux inquiétant de ce type de censure dans l’histoire: du protectionnisme corporatiste des artistes de la Renaissance aux normes académiques érigées en loi, du bûcher des vanités du dominicain Savonarole à l’iconoclasme protestant, du puritanisme antisexuel à la persécution des oppositions politiques, de «l’art dégénéré» honni des Nazis aux répressions staliniennes.


En Angleterre, plusieurs pièces de théâtre ont été récemment interdites par la police dont les pièces de Gurpreet Kaur Bhatti « Behzti » et « Behud », sous la pression de manifestations contre celles-ci, relayées par les réseaux sociaux, démontrant que le droit à manifester devient supérieur à la liberté d’expression.

Ce type de censure présente un reflet fidèle d’une société –  en traitant de l’art autour des nouveaux tabous que sont aujourd’hui l’atteinte à la dignité humaine, la mort , la représentation des mineurs (Balthus, Larry Clark) et les icones, religieuses ou laïques, la représentation de la femme (et de l’homme), que l’art n’aurait plus le droit de contester (en Chine, en Russie, aux Etats-Unis, etc.).

En cela, comme en d’autres problèmes liés à la liberté d’expression, tant qu’une oeuvre ne conduit pas à provoquer la haine, la xénophobie, etc., comme prévu par les Conventions internationales sur les Droits de l’Homme et la jurisprudence de la CEDU, la meilleure réponse n’est pas la censure, mais le débat et l’éducation.

Julia Farrington, responsable artistique de l’excellente revue britannique Index for Censorship l’exprime clairement: « Dans un monde idéal, nous devrions avoir accès à la fois à l’œuvre et à la protestation qu’elle provoque. C’est alors que l’art fonctionne vraiment pour la société, quand il encourage le débat et inspire le contre-discours». The Guardian, 29 Novembre 2019 “The art, the law and freedom of speech

Auteur

Economiste et historien, directeur du Centre LIBREXPRESSION, fondation Giuseppe di Vagno

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