Publicité, religion et liberté d’expression

Publicité incriminée de la Sekmadienis Ltd  – Lituanie

Dans la décision Sekmadienitis Ltd v. Lituanie (n ° 69317/14), du 31 janvier 2018, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), a décidé à l’unanimité que la Lituanie avait violé l’article 10 (droit à la liberté d’expression) de la Convention européenne de Droits de l’Homme.
Décision qui a créé des protestations en Italie del’église catholiques et des commentaires ignarants de la Ligue du Nord qui confond la CEDH et le Conseil d’Europe avec des institutions de l’Union européenne. Ignorance voulue ou non qui met en danger la démocratie.

LES FAITS

La société requérante, Sekmadienis Ltd., est basée à Vilnius. En septembre et octobre 2012, ella a mené une campagne publicitaire avec des photos d’un mannequin mâle et femelle entourés de halos, l’homme en jeans et avec des tatouages, et la femme avec une robe blanche et un collier de perles. Les publicités contenaient les légendes « Jésus, quel pantalon!« , « Chère Marie, quelle robe!« , Et « Jésus [et] Marie, que portez-vous! »
Plusieurs personnes se sont plaintes de ces publicités auprès de l’Autorité de protection des droits des consommateurs (SCRPA). Ce dernier a d’abord demandé l’avis de l’Agence de publicité lituanienne (LAA), un organisme d’autorégulation composé de spécialistes de la publicité. La LAA a déclaré que «les personnes religieuses réagissent toujours de façon très sensible à toute utilisation de symboles religieux ou de personnalités religieuses dans la publicité» et que les publicités enfreignent leur Code de publicité et d’éthique. La SCRPA a transmis cette opinion et les plaintes à l’Inspection d’État des produits non alimentaires. L’Inspectorat a estimé que « les publicités utilisent des symboles religieux d’une manière irrespectueuse et inappropriée » et pourraient constituer une violation de la loi nationale sur la publicité. Par la suite, la SCRPA a demandé à la Conférence épiscopale lituanienne, l’autorité territoriale de l’Eglise catholique romaine de Lituanie, de donner son avis. La Conférence des évêques a déclaré que «la dégradation et la déformation des symboles religieux en changeant délibérément leur signification est contraire à la morale publique, en particulier lorsqu’elle est menée à des fins commerciales». Il a ensuite informé le SCRPA qu’il avait reçu des plaintes concernant les publicités d’une centaine de personnes. En mars 2013, la SCRPA a conclu que les publicités étaient contraires à la morale publique et violaient ainsi la loi sur la publicité. La société requérante a été condamnée à une amende de 2.000 litai lituaniens (environ 580 euros). La SCRPA a soutenu que «la représentation inappropriée du Christ et de Marie dans les publicités en question encourage une attitude frivole envers les valeurs éthiques de la foi chrétienne [et] favorise un style de vie incompatible avec les principes d’une personne religieuse». Il a conclu que «le respect de la religion est sans aucun doute une valeur morale ».

La Sentence de la CDU

En conséquence, Sekmadienis Ltd a demandé l’avis de la CEDH, sur base de l’article 10§1 de la Convention. La Cour composée de 7 juges – Ganna Yudkivska (Ukraine), Président, Vincent A. De Gaetano (Malte), Faris Vehabović (Bosnie-Herzégovine), Egidijus Kūris (Lituanie), Carlo Ranzoni (Liechtenstein), Georges Ravarani (Luxembourg), Péter Paczolay (Hongrie), et Marialena Tsirli, greffière de section -, a estimé que cette campagne publicitaire ne pouvait être condamnée et qu’en conséquence, manquer de respect à la religion n’enfreint pas la morale publique.
En résumé, ses arguments sont les suivants:
« Les publicités ne semblaient ni gratuites ni offensantes, ni inciter à la haine pour des motifs religieux, la Cour a souligné le devoir des juridictions internes et des autres autorités de fournir des raisons pertinentes et suffisantes expliquant pourquoi une telle expression était contraire à la morale publique ».
Conformément à sa jurisprudence constante depuis l’arrêt Handyside (1973), la Cour a précisé que la liberté d’expression s’étend aux idées qui « heurtent, choquent ou dérangent ». En conséquence, la Cour a condamné la Lituanie.

COMMENTAIRES:

1 – Dans tous les pays les associations d’entreprises de publicité ont établi des codes éthiques pour leurs membres. Ces codes sont des accords volontaires entre opérateurs qui ne sont pas des lois, mais de l’autorégulation («soft-law») non contraignate. Le droit international est toujours supérieur aux lois nationales et les lois nationales à de tels accords volontaires. Le contenu de ces codes peut varier d’un pays à l’autre, voici ce que dit le code britannique en matière d’usage des signes et symboles religieux :
« 4.1 Les communications commerciales ne doivent contenir aucun élément susceptible de causer une infraction grave ou généralisée. Il faut veiller tout particulièrement à ne pas offenser la race, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, le handicap ou l’âge. La conformité sera jugée en fonction du contexte, du support, du public, du produit et des normes en vigueur.
« Les communications marketing peuvent être désagréables sans nécessairement enfreindre cette règle. Les spécialistes du marketing sont invités à prendre en compte les sensibilités du public avant d’utiliser du matériel potentiellement offensant.
« Le fait qu’un produit soit offensant pour certaines personnes n’est pas un motif pour considérer qu’une communication marketing est une violation du Code.

On peut penser à ce que l’on veut de la publicité mais, même si son objectif est commercial, elle reste une forme de communication et d’expression et, par conséquent, doit bénéficier des mêmes droits que les autres formes d’expression.

De nombreuses études scientifiques ont été réalisées sur l’impact de l’utilisation de thèmes religieux dans la publicité. Leurs résultats ne démontrent pas que ce type de publicité ait un grand effet sur la consommation. Cependant, non seulement de telles publicités sont couranets dans le monde et en Europe, mais certaines religions n’hésitent pas à utiliser aussi des signes religieux pour faire leur publicité et attirer le public.


2- Evidemment, en Italie, les commentaires négatifs de cette sentence de la CEDU n’ont pas manqué. En particulier des commentaires totalement faux de la Ligue du Nord. Roberto Calderoli (vice-président du Sénat) et Matteo Salvini (président du parti) ont accusé en termes similaires – et totalement ridicules – l’Union européenne:
« De cette Europe de technocrates à des années-lumière du bon sens du peuple arrive le éniemme camouflet, l’ennième insulte à notre histoire. Cette sentence est une insulte au respect de nos racines chrétiennes et de notre identité et représente une nouvelle confirmation que cette Europe qui se moque et dégrade son identité et son histoire ne doit pas être changée, mais elle doit être éradiquée, car c’est seulement de cette manière qu’elle pourra être reconstruite ».
Commentaires totalement faux, car tant Calderoni que Salvani ignorent (ou font semblant d’ignorer) que la CEDH n’est pas une institution de l’UE. La cour est une institution du Conseil de l’Europe, institution qui n’a rien à voir avec celles de l’UE (à part le fait que tous ses Etats membres sont également membres du Conseil de L’Europe). Par ailleurs s’ils avaient lu la sentence, ils auraient noté que sur les sept juges qui ont prononcé la sentence trois étaient de nationalité de pays non-membre de l’UE!

Triste de voir que des politiciens ignorants ou volontairement affabulateurs n’importe quel argument pour tromper leurs électeurs, attitudes systématiques hautement plus périlleuses pour la démocratie que les “fake-news”!

Références:

– Justina Gineikienė, Ignas Zimaitis, Sigitas Urbonavičius « Controversial use of Religious Symbols in Advertising” in: Developments in marketing Science: Proceedings of the Academy of Marketing Science, Oct. 2014
https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-10951-0_26

– Abou Bakar, Dr Richard Lee, Dr Cam Rungie « The Use of Religious Symbols on Packaging to Influence Product Preference and Rating »
http://search.ror.unisa.edu.au/record/UNISA_ALMA11143152550001831/media/digital/open/9915909492401831/12143152540001831/13143236160001831/pdf

– The UK Code of Non-broadcast Advertising and Direct & Promotional Marketing
https://www.asa.org.uk/codes-and-rulings.html

Reactions in Italy:
– https://www.avvenire.it/mondo/pagine/pubblicita-strasburgo-lecito-usare-gesu-e-maria-su-poster-e-web

http://www.adnkronos.com/fatti/esteri/2018/01/30/corte-strasburgo-lecito-usare-gesu-negli-spot_rZI5PzQ5avN4oOzhvl5f7K.html

http://www.corriere.it/cronache/18_gennaio_30/corte-strasburgo-lecito-l-uso-gesu-maria-pubblicita-002803f6-05b2-11e8-b2bd-b642cbae90d8.shtml?refresh_ce-cp

 

Auteur

Economiste et historien, directeur du Centre LIBREXPRESSION, fondation Giuseppe di Vagno

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